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Entretien

15 juillet 2020

RAYMOND Gerard (credit Vincent MACHER).j

Gérard RAYMOND

Président de France Assos santé.

Président de la Fédération Française des Diabétiques de 2015 à 2019.

Patient diabétique de type 1, dirigeant associatif bénévole.

« La réforme clé est celle de la démocratie des territoires en santé   »

Pouvez-vous partager un épisode qui vous a particulièrement marqué pendant la crise du Covid-19 ?

Deux éléments m’ont marqué.

Premièrement, le jour où j’ai repris contact avec mon service de diabétologie dans des conditions de sécurité extrême, les médecins m’ont dit qu’ils avaient mis en place une plateforme de suivi à distance des patients en 8 jours, alors que cela faisait 3 ans que l’on essayait de la mettre en place. Cela m’a intéressé de voir que, face à une situation de crise, on savait trouver des solutions rapides et efficaces pour faire front.

Deuxièmement, je retiens que nos relations [France Assos Santé] avec le ministère de la Santé et l’Assurance maladie n’ont jamais été rompues – bien au contraire.

Le côté négatif, c’est que la parole des usagers de la santé, c’est-à-dire de 66 millions de citoyens français, a été confinée. Certaines instances comme le Comité scientifique avaient le droit à la parole, mais il n’a rien été demandé à ceux qui vivaient ces difficultés au quotidien.

Quels enseignements retenez-vous de la période que nous avons traversée ?

Cette crise sanitaire aura été un révélateur et un accélérateur.

Elle a tout d’abord montré que ce que nous – et pas simplement France Assos Santé – voulions faire était ce qu’il fallait faire : la coordination des acteurs, le développement du numérique, la nécessité de transformer une gouvernance jacobine en une vraie démocratie sanitaire de territoire, la responsabilisation de l’ensemble des acteurs et des citoyens…

Deuxièmement, elle a accéléré des processus comme celui de la mise en place de la télémédecine qui, alors qu’elle n’arrivait que peu à se développer, a tout d’un coup explosé. De même, alors que l’hôpital en crise semblait incapable d’accueillir qui que ce soit, les professionnels de santé ont pris le dessus sur les administratifs et ont réussi à faire face.

Il faut également retenir que la démocratie en santé, c’est-à-dire la participation des usagers de la santé sur les territoires, a été balayée. Les organes de démocratie en santé ont été mis de côté, que ce soit la conférence régionale de santé, les commissions des usagers dans les établissements... Si l’on veut une vraie participation et une vraie coopération de l’ensemble des acteurs, il faut mieux traiter l’ensemble de ces acteurs, notamment les usagers de la santé.

Quelle réforme clé devrait être menée dans le cadre du Ségur de la Santé ?

Il faut se féliciter de la hauteur de la réflexion de l’ensemble des acteurs du Ségur : au-delà de la nécessaire augmentation de la rémunération de l’ensemble des soignants, les débats ont concerné la gouvernance de l’hôpital, la place de l’hôpital dans l’ensemble du système de santé, la réorganisation du premier recours et ont pris en compte la volonté de transformer le mode de financement et la prise en charge des pathologies chroniques et hors parcours, ainsi que celle de créer une démocratie en santé plus participative et plus responsable dans les territoires. Nous considérons aujourd’hui que tous les thèmes majeurs de réforme ont été portés de façon relativement homogène au sein du Ségur.

Si tous les sujets que j’ai mentionnés sont importants, la réforme clé est celle de la démocratie des territoires en santé. Il faut donner de la liberté aux structures participatives de la démocratie sanitaire des territoires, qui doivent cesser de dépendre des ARS[1] (dont le rôle est d’évaluer et de réguler). Ces structures doivent être partagées avec les élus, parce qu’elles travaillent sur des questions de santé qui vont au-delà du soin : éducation à la santé, prévention, organisation sur le territoire d’une offre de soins en fonction des attentes et des besoins de la population… Nous voulons donc une transformation de la gouvernance, avec beaucoup plus de participation des usagers de la santé à cette démocratie sanitaire.

Reste ensuite à voir les propositions qui résulteront du Ségur suite aux arbitrages du ministre. Si ce qui en sort nous convient, nous nous mettrons au travail ; sinon, nous le dirons haut et fort. Mais il ne faudra pas oublier, dans tous les cas, que le Ségur propose des changements systémiques : il faudra s’assurer de transformer l’essai dans les prochaines années.

Quel obstacle pourrait entraver le développement de cette démocratie sanitaire ?

L’obstacle majeur est que nous vivons dans un système extrêmement jacobin. Réduire le poids des idées corporatistes nécessite des efforts conséquents. Aujourd’hui, certaines portes s’ouvrent, mais il va falloir aller plus vite et plus fort, que ce soit à l’hôpital, en médecine libérale, pour les généralistes ou les spécialistes…

Comment faire en sorte de s’affranchir de ce jacobinisme et de ces corporatismes ?

Il faut décentraliser, trouver un équilibre budgétaire beaucoup plus souple, et faciliter la créativité. Il faut aussi que tout ce qui sera mis en place soit évalué par l’ensemble des usagers et qu’il y ait une part beaucoup plus importante de ce critère d’évaluation de la satisfaction dans la rémunération. Les modes de financement actuels, soit la T2A[2] à l’hôpital et la rémunération à l’acte en médecine libérale, doivent évoluer.

Mais le point essentiel pour réussir cette transformation est le développement du numérique, avec des données de bonnes qualité, des outils sécurisés, interopérables… pour les citoyens, pour les professionnels en santé, allons-y ! Le numérique permettra également de réaliser des études de l’état de santé de la population territoire par territoire à partir de ces données de santé sécurisées.

De nombreux usagers expriment des craintes sur la sécurité de leurs données de santé. En tant que responsables associatifs, nous nous devons de rassurer les citoyens et de leur donner confiance, en favorisant la participation et la transparence. Mais c’est à l’Etat de prendre les mesures pour que l’ensemble des données soient sécurisées.

 

Propos recueillis le 10 juillet 2020 par Julie Jolivet.

[1] Agences régionales de santé.

[2] Tarification à l’activité.

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