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FOCUS #20

16 octobre 2024

PLFSS 2025 : ne tirons pas sur l'ambulance mais préparons la suite

Lisa n'a jamais manqué[1] de pointer les risques d’une politique de dépenses publiques débridée. Aujourd'hui, alors que tous les compartiments des finances publiques sont dans le rouge et dans des proportions inédites (6,1 % du PIB de déficit des administrations publiques), il ne sert à rien de pousser des cris d'orfraie face à des mesures de sauvegarde, d’ailleurs présentées comme telles, dans le champ de la protection sociale, et singulièrement de l’assurance maladie : la baisse du niveau de remboursement des consultations et le transfert sur les complémentaires santé est une vieille recette ; la tentative de mieux réguler les arrêts de travail est une réaction logique à une tendance très préoccupante ; la mise à contribution des industriels de la santé fait elle aussi partie de l'arsenal traditionnel de Bercy. Le tout est que ces dispositions ne recèlent pas trop d'effets pervers ou que ceux-ci soient maîtrisés.

Force est aussi de reconnaître que, dans un contexte de crise aigüe, ce projet de loi de financement maintient une trajectoire de croissance soutenue pour les dépenses de santé (+ 7 milliards – soit + 2,8% - par rapport à la base 2024 rectifiée) et s’efforce de préserver un secteur en difficulté profonde (celui des EHPAD[2]), avec une hausse significative de I'ONDAM médico-social (+ 6% pour le sous-ONDAM personnes âgées) et finance quelques avancées, dont celles de la récente convention médicale.

Si on veut bien éviter les anathèmes, on pourra peut-être se concentrer sur les défis pour le gouvernement et les ministres en charge :

  • Organiser une force de travail soignante davantage coordonnée, au plus près du niveau d'expertise requis et détenu, pour tout à la fois faire face à la pénurie de ressources et gagner en efficience : le partage des tâches entre soignants, la juste allocation du temps médical et paramédical disponible, une réflexion sans tabou sur les modes de coordination des parcours de santé (autour de l'idée d'équipe de soins traitante notamment[3]), la poursuite résolue des réformes en matière de formation, le bon usage des possibilités du numérique : autant de chantiers à poursuivre de façon résolue pour avoir enfin des solutions à l’échelle des problèmes. Il faut pousser les feux sur les infirmiers-ères en pratique avancée – IPA (à commencer par en former beaucoup plus, ce qui suppose quelques financements complémentaires), ouvrir l’accès direct, sortir du régime des expérimentations pour diffuser les solutions qui marchent, etc. ;

  • Prendre à bras le corps le sujet de la filière gériatrique, pour une meilleure prise en charge de personnes âgées et très âgées, dont les effectifs vont augmenter dans des proportions importantes : il en va de la santé et du bien-être des populations concernées et de leurs aidants mais il s'agit aussi d'augmenter la résilience du système de santé. Celui-ci ne pourra faire face à la vague du vieillissement et au poids des maladies chroniques que si l’on parvient à lisser les courbes de croissance des besoins et des sollicitations du système, hospitalier en particulier, en renforçant drastiquement les efforts de prévention de la perte d'autonomie et en organisant mieux la prise en charge entre la ville, l’hôpital et les établissements médico-sociaux. En particulier, les urgences de l’hôpital ne peuvent pas accueillir des personnes très âgées toujours plus nombreuses, avec les risques iatrogènes afférents pour les personnes et la désorganisation du système qui résulte de cet afflux ;

  • Susciter un vrai débat avec les élus locaux et la population sur l'organisation hospitalière. Les difficultés de l'accès aux soins et les préoccupations des territoires en termes d'abandon des services publics empêchent de poser sereinement les termes d'un débat de fond sur la qualité et la pertinence des prises en charge avec le tissu hospitalier actuel, sans oublier le sujet de la tarification[4]… au-delà des caricatures…  L'irresponsabilité des élus, au sens littéral du terme, c'est-à-dire le fait qu'ils n'aient pas de compétences particulières[5] dans la régulation de l'offre de santé, bride toute discussion ouverte et équilibrée sur le sujet. La question des urgences, celle des maternités[6] ou des soins en santé mentale, l’organisation des soins pédiatriques, plus globalement la gradation des soins et les restructurations à conduire, tout simplement pour faire face aux transformations de l'organisation des prises en charge, tout cela doit être mis sur la table. Il ne faut pas non plus occulter plus longtemps le sujet des responsabilités locales en matière de santé, sujet sur lequel notre pays apparaît désormais en décalage avec ses homologues ;

  • Revoir la régulation en matière de produits de santé pour tenir les deux bouts de la chaine : éviter les pertes de chances[7] pour nos concitoyens compte tenu des vagues d'innovations actuelles et assurer la disponibilité sur le marché français des médicaments matures d’intérêt thérapeutique majeur. L'évaluation des produits (a priori et en vie réelle), le bon réglage de la politique des prix[8] et des mécanismes dits de « sauvegarde », la clairvoyance de la politique industrielle, le soutien pertinent à l'appareil de recherche en santé... tout cela mérite d’être approfondi. Le rapport[9] demandé par Elisabeth Borne, Première ministre, fournissait des pistes intéressantes sur beaucoup de ces sujets.

 

 

                                                                                   Stéphane Le Bouler, président de Lisa

 

 

 

contact.lisalab@gmail.com

www.lisa-lab.org

 

[1] Voir par exemple en avril dernier https://www.lisa-lab.org/focus-18-sante-autonomie-gestion-temps-long

[2] Voir les travaux sur le sujet du séminaire Lisa-Ocirp sur les politiques de l’autonomie

[3] Nous avons pu montrer les limites du dispositif « médecin traitant : https://www.lisa-lab.org/lisa-medecintraitant

[4] Pour paraphraser une formule célèbre, la tarification à l’activité est sans doute le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres.

[5] En dehors de la compétence des Régions sur les formations sanitaires

[6] Voir le rapport d’Yves Ville sur les maternités

chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2023/03/RAPPORT-planification-de-la-pe%CC%81rinatalite%CC%81-.pdf

[7] Les pertes de chance concernent l’accès aux innovations mais aussi au bon diagnostic, de façon à limiter les phénomènes d’errance, particulièrement critiques dans les maladies rares. Cf. un récent article de la revue European Journal of Human Genetics https://www.nature.com/articles/s41431-024-01604-z

[8] Voir l’étude récente menée pour AMLIS, l’association des TPE et PME du secteur pharmaceutique, sur les ruptures en rapport avec le prix des médicaments, d’où il ressort que :

  • les produits de moins de 5€ représentent 85% du volume des médicaments MITMs consommés en France et 14% du budget du médicament et sont en régression de 3% ;

  • les médicaments de plus de 100€ représentent 1% du volume consommé mais 50% des dépenses et sont en croissance de 12% ;

  • 94,4% du volume des pénuries est concentré sur des produits de moins de 10€ ;

  • 78% sont des spécialités dont la molécule a été lancée il y a plus de vingt ans ;

  • 76% sont des génériques mais 20% sont des princeps hors répertoire et 4% sont des princeps inscrits au répertoire.

[9] https://presse.economie.gouv.fr/29082023-regulation-des-produits-de-sante/ Nous en avions traité à sa sortie : https://www.lisa-lab.org/focus-16-produits-de-la-sante

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