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FOCUS #8

15 décembre 2022

Professions de santé : l’état d’urgence

Rassurons tout de suite le lecteur : nous ne céderons pas à la vague eschatologique. Oui, il y a urgence à agir de façon résolue et sur tous les fronts en ce qui concerne les professions de santé! Mais non, nous ne sommes pas au bord du gouffre, le système n’est pas près de s’écrouler… Et il ne suffit pas de dire que la fin est proche pour occulter l’indigence de certaines analyses ou de certaines propositions.

Une crise inédite par son ampleur

L’originalité de la période vient de ce que les causes de la crise sont multiples et que celle-ci concerne l’ensemble des professions de santé.

Il n’y a guère de sujets qui ne soient abordés aujourd’hui, la plupart du temps pour pointer des défaillances : attractivité des métiers, recrutement, formation, périmètres des métiers et répartition des compétences, durée des carrières, conditions de travail et pénibilité, santé au travail, perspectives d’évolution en cours de carrière, fins de carrière… On a donc un problème d’accès à des ressources formées en adéquation avec les besoins et disponibles dans la durée.

Facteur aggravant : les interrogations ou les difficultés ne concernent pas simplement tel ou tel pan des professions médicales ou paramédicales, tel ou tel segment de la prise en charge. Bon an mal an, ce sont tous les statuts, tous les niveaux dans la hiérarchie des professions, tous les secteurs qui sont concernés. Un jour la santé de l’enfant, un autre la santé mentale ou les urgences, la périnatalité ou le grand âge. 

" La crise sanitaire a mis du sel sur les plaies. L’inflation rebat les enjeux. Les carences passées de la régulation sont mises au débit des pouvoirs publics… quand bien même les responsabilités sont partagées (sur la question des numerus clausus par exemple)."

La crise sanitaire a mis du sel sur les plaies. L’inflation rebat les enjeux. Les carences passées de la régulation sont mises au débit des pouvoirs publics… quand bien même les responsabilités sont partagées (sur la question des numerus clausus par exemple).

La crise ne concerne pas seulement la France, ce qui relativise les responsabilités de chacun mais ne fait qu’accroître le sentiment d’impuissance.

Autre inédit, fâcheux celui-là : les invectives pleuvent dru (sur le sujet des pratiques avancées et de l’accès direct, notamment) et les propositions plus ou moins fantaisistes fusent. Le contexte de négociation ouvert par la convention médicale n’explique – et n’excuse – pas tout. 

Tout cela pour dire que nous ne pouvons plus raisonner sur ces questions dans des mondes séparés. De ce point de vue, la configuration des conventions de l’assurance maladie n’est pas disons… idéale. Comme le Ségur de la santé en son temps ne l’était pas.

Changer de posture

La posture des acteurs doit aussi évoluer de façon très sensible sur plusieurs points : 

  • Les questions de formation ne sont plus seulement une affaire de formateurs ou d’étudiants : le pilotage de ces questions est une responsabilité éminente des pouvoirs publics : la prospective stratégique en ces matières, la politique de régulation quantitative, le pilotage des recrutements, l’accréditation et l’évaluation des formations, l’articulation avec la formation continue… tout cela doit être plus précisément managé et il ne suffit plus ici d’activer l’arme réglementaire traditionnelle. Dispenser des formations de qualité et bienveillantes est, par exemple, devenu un objectif pour les politiques publiques si l’on veut éviter les déperditions en cours de formation ou à l’issue de celle-ci… ; 
     

  • Certains sujets ont été trop longtemps renvoyés à l’initiative individuelle et à l’intérêt des agents alors qu’ils ont une dimension systémique et engagent l’intérêt général : 
     

    • Il en va ainsi des dispositifs de promotion professionnelle ou de validation des acquis : on ne fera pas les mêmes efforts en termes d’engagement politique et de moyens mobilisés si l’on veut bien considérer que ces dispositifs participent de l’attractivité des métiers concernés et donc de la robustesse de l’organisation du système de santé ; le développement de la formation en alternance et la simplification des dispositifs de VAE sont ainsi clairement aujourd’hui une priorité pour le système de santé ; 

    • L’extension des compétences des professionnels en poste, dans un registre de pratique avancée ou de spécialisation – peu importe ici – ne doit pas être considéré seulement à travers le bénéfice individuel que peuvent retirer les agents : il est de l’intérêt du système de bâtir les compétences intermédiaires dont nous avons besoin. De ce point-de-vue, les « retards à l’allumage » que l’on a connus pour le déploiement des pratiques avancées infirmières doivent servir de leçon ; 

    • Il en va de même des questions de conditions de travail et de pénibilité : en faire un enjeu de durabilité des carrières change la perspective. On sait que certaines carrières soignantes sont interrompues prématurément ; on sait aussi qu’il y a un sujet relatif à l’emploi des séniors, en particulier évidemment dans un contexte de réforme des retraites. La qualité de vie au travail, la lutte contre la pénibilité sont donc fondamentalement des enjeux collectifs. 
       

On pourrait multiplier les exemples. 

  • Enfin, la pertinence de telle ou telle réforme sur l’organisation du système ne se retrouve pas forcément dans la carrière des agents… et réciproquement : la montée en compétences de telle ou telle profession ne rejaillit ainsi pas forcément sur les carrières ou le positionnement des professions (exemple, là encore, des pratiques avancées).
     

Autre façon de le dire : prises individuellement, les réformes sont – ou finissent par être – considérées le plus souvent comme pertinentes, qu’il s’agisse de la mise en place des pratiques avancées infirmières, des expérimentations article 51, des transformations profondes dans le domaine de la formation, des initiatives en matière d’accès direct ou des capacités d’action nouvelles des soignants (en matière de prescription ou de vaccination)… mais tout cela n’emporte pas une transformation du système ou des carrières des agents.

Abondance d’initiatives 

Si l’on refusait en introduction la vision eschatologique trop souvent répandue, ce n’est pas seulement pour ne pas « désespérer » du système et des possibilités de rebond. C’est aussi parce que de très nombreux sujets ont bien été ouverts au fil des ans. 

Contrairement peut-être à d’autres domaines de l’action publique, on peut même dire que les pouvoirs publics ont été particulièrement prolifiques. 

Chaque grande – ou petite – loi Santé (2004, 2009, 2016, 2019...) a embarqué des dispositions, plus ou moins nombreuses, sur les métiers. Les lois de financement de la sécurité sociale ne sont pas en reste. Sans parler des propositions de loi… La période actuelle est productive en la matière. 

La Grande conférence de la santé de 2015-2016 avait traité des sujets RH sur une base étendue, sans guère mobiliser de moyens budgétaires. Comme quoi, tout ne se résume pas à l’épaisseur de l’enveloppe financière. 

Le Ségur de la santé a mis, lui, des moyens importants mais sur une base plus étroite, tant du point de vue des enjeux pris en charge que des professions et statuts concernés. Aujourd’hui, on paie cette carence et il nous faut donc élargir le propos. C’est l’objet des débats du Conseil national de la refondation – Volet santé et des conventions en cours entre les professions et l’assurance maladie : pour la masso-kinésithérapie et pour la profession médicale.

Gagner en cohérence et en force d’impulsion

L’impression commune est que ces initiatives à foison ne font pas suffisamment sens et n’ont pas produit les impacts attendus sur l’organisation du système de santé et sur la situation vécue par les professionnels. Plusieurs éléments d’explication peuvent être avancés : 

  • Les temps de maturation ou de déploiement sont longs et le sens de l’action tend à se diluer au long de ces parcours de concertation ou de fabrique de la réglementation ;

  • Le modèle de financement et de valorisation des compétences n’est pas révélé bien souvent. Les financements traditionnels subsistent, avec les échelles de valeur afférentes, et les innovations peinent à émerger ou à se faire une place. « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître… » ;

  • Les goulots d’étranglement sont nombreux dans la conduite des réformes, phénomène amplifié par les lacunes du pilotage interministériel ; 

  • La multiplicité des objets de réforme produit un effet de dispersion de l’action publique et des possibilités de contestation. 
     

Il faut dès lors gagner en cohérence et en force d’impulsion. Cela suppose :

  • De bâtir, concerter, partager la vision sous-jacente des transformations que les pouvoirs publics entendent porter : selon les cas, jusqu’à présent, la vision est tantôt assumée (et portée dans les discours des responsables publics), tantôt tue ou déployée à bas bruit ou de façon brouillonne. Autrement dit, il faut une vision des métiers du soin, un dessein, un cadre de financement, un discours et ne plus avancer masqué ; 

  • De conduire simultanément un ensemble d’actions cohérentes dont la portée et le sens se renforcent l’une l’autre : on a besoin d’une feuille de route claire, déclinée en plans d’action (avec des objectifs, des échéances et des jalons précis), embarquant dans un même mouvement les différents départements ministériels concernés et les autres autorités (dont les régions), aux côtés des parties prenantes (professionnels, usagers, opérateurs, employeurs, étudiants…). 
     

Le modèle, il n’y a pas à aller le chercher bien loin : regardons ce que l’on a fait en matière de santé numérique ces dernières années et inspirons-nous des bonnes pratiques et de l’organisation déployée à cette occasion. 

 

Stéphane Le Bouler, président de Lisa

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