FOCUS #7
24 novembre 2022
Santé de l'enfant : une crise qui vient de loin
La saturation actuelle des services des urgences hospitalières pour la prise en charge des enfants en bas âge ne saurait nous surprendre. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales[1] de mai 2021 avait parfaitement décrit les ingrédients de cette crise. Près de quinze ans auparavant, le rapport de Danièle Sommelet[2] avait d’ailleurs déjà dit l’essentiel. Explicitons les enjeux à notre tour :
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un défaut d'organisation des soins sur fond de déficits démographiques croissants. En situation d'abondance des ressources soignantes, les lacunes de la gradation des soins, autrement dit une définition peu opératoire des rôles respectifs des différents professionnels de la santé de l’enfant sur le terrain, étaient déjà préjudiciables en termes d'efficience.
Elles deviennent critiques lorsque les professionnels viennent à manquer. Il importe donc aujourd'hui de replacer les différents métiers (pédiatres libéraux et hospitaliers, médecins généralistes, médecine salariée - PMI, médecine scolaire –, infirmiers de puériculture, infirmiers de soins généraux, auxiliaires de puériculture) dans une organisation graduée (expertise (hyper)spécialisée, recours, soins primaires) rationalisée sur les niveaux d'expertise de chacun, en lien avec l'organisation en matière de périnatalité.
Il faut notamment créer des grosses équipes pour le recours et les urgences et développer un réseau territorial (en équipe également) pour tout ce qui relève des soins de proximité, impliquant fortement les paramédicaux et les médecins généralistes, avec le soutien des pédiatres pour les situations plus complexes ;
" À l'instar d'autres problématiques (l'organisation en matière de santé mentale par exemple), la santé de l'enfant est en effet un bon traceur de nos dysfonctionnements et des solutions à mettre en place. "
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un défaut d'anticipation en termes de prospective sur les ressources humaines : la crise vient de loin et durera longtemps. Le déficit d'attractivité de la pédiatrie libérale n'est pas un phénomène nouveau et il ne suffisait pas d'ajouter des postes aux ECN (examens classant nationaux) pour résoudre le problème : de fait, le nombre de pédiatres augmente (+11% entre 2012 et 2020) mais leur répartition entre exercice libéral et hospitalier s’est modifiée (en faveur de ce dernier : la part de l’exercice libéral exclusif est passée de 32% à 23,5% de 2012 à 2020). La place de cette spécialité dans la hiérarchie des rémunérations préparait de longue date nos difficultés actuelles. La démographie professionnelle interdit désormais les solutions en forme de plans sur la comète : il faut faire avec l’ensemble des compétences disponibles aujourd'hui et à moyen terme et mieux les organiser ;
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l'inadaptation des appareils de formation. Le défaut d'anticipation ne concerne pas seulement la pédiatrie libérale. C'est toute la chaîne de formation qui s’est révélée défaillante. Les travers sont bien identifiés : une tendance à la « sur-spécialisation » des internes, avec une formation longue (5 ans) et très hospitalo-centrée ; des stages de pédiatrie générale en libéral peu nombreux et des formes d’exercice isolé pas toujours attractives pour les professionnels en formation ; une part limitée de la prise en charge du jeune enfant dans les stages des internes de médecine générale ; la déshérence de la formation des infirmiers de puériculture avec un référentiel datant de... 1983 ; l’absence d’enseignements spécifiques à la prise en charge de l’enfant dans la maquette de la formation socle infirmière depuis la refonte de 2009, etc. La formation d'infirmier spécialisé en puériculture est un sujet emblématique : elle doit être portée sans délais au niveau Master et pleinement intégrée à l'Université pour engager la revalorisation de la profession ;
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la désorganisation de la filière, qui aboutit à des difficultés toutes particulières s'agissant des soins non programmés (bien au-delà des épidémies saisonnières de bronchiolite). Les petites structures hospitalières de pédiatrie peinent, par exemple, à attirer les jeunes pédiatres formés dans des services pointus et ont du mal à assurer un service des urgences de qualité. Au-delà des solutions pour faire face à la crise actuelle, la restructuration passe par la mobilisation ordonnée des professionnels autour de maisons de la santé de l'enfant, d'équipes de soins spécialisés rassemblant les compétences médicales et paramédicales et, plus globalement, des formes d’exercice coordonné à sensibiliser d’urgence à cette problématique ;
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une situation péjorative en termes d'éducation à la santé, de prévention et de dépistage. Le gradient social est particulièrement important dans la prise en charge de la santé de l'enfant et les pertes de chance ancrent ces différences dans la durée. Mettre davantage de moyens sur une organisation rationalisée et rendre de l'attractivité aux professions concernées est de facto une façon très concrète pour prendre au sérieux la lutte contre les inégalités sociales et territoriales de santé.
Les observateurs avisés se diront qu'il y a là des éléments de diagnostic classiques des maux de notre système de santé.
À l'instar d'autres problématiques (l'organisation en matière de santé mentale par exemple), la santé de l'enfant est en effet un bon traceur de nos dysfonctionnements et des solutions à mettre en place. Facteur aggravant, la façon dont on prend en charge la santé de l’enfant prépare aussi la vie de l’adulte : raison de plus pour mieux la situer parmi les priorités de nos politiques de santé.
Hélène Berrué-Gaillard, présidente de l’Alliance maladies rares, membre du bureau de Lisa
et Stéphane Le Bouler, président de Lisa
[1] IGAS, E.Fauchier-Magnan et Pr. B.Fenoll, avec le concours de la Pr. B.Chabrol, La pédiatrie et l’organisation des soins de santé de l’enfant en France, mai 2021 https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2020-074r.pdf
[2] Danièle Sommelet, L'enfant et l'adolescent : un enjeu de société, une priorité du système de santé, mars 2007 https://www.vie-publique.fr/rapport/29050-lenfant-et-ladolescent-un-enjeu-de-societe-une-priorite-du-systeme