FOCUS #4
25 octobre 2022
La téléconsultation au temps du Covid : leçon suédoise
Du Covid en Suède, on se souvient des choix débattus de l’agence de santé publique dans la lutte contre l’épidémie. D’autres enseignements peuvent cependant être médités : ainsi de l’impact de l’essor de la téléconsultation sur le système de soin de premier recours.
Rappelons que la Suède est dotée d’un système national de santé à financement public. Celui-ci est piloté par 21 comtés, agissant dans un cadre commun mais très autonomes en pratique : chaque comté décide du montant des taxes qu’il lève mais aussi du montant des forfaits dus par les patients et gère l’offre de soins publique.
Le financement assuré par chaque comté est identique entre opérateurs publics et privés de soin. Il est formé d’un mix reposant sur la capitation (60 à 95% du financement), sur des forfaits (5 à 38%) à la charge du patient (plafonnés) et sur une petite rémunération à la performance (0 à 3%). Dans les régions riches et denses (Sud du pays), les honoraires sont plus importants et les opérateurs privés très présents.
" Le propre de la régulation est de chercher à garder un coup d’avance sur les équilibres qui se font sur le marché."
En pratique, les Suédois choisissent moins un médecin qu’un centre médical auquel ils s’inscrivent. Ils peuvent aussi aller partout en Suède hors inscription (out-of-county). La compétition entre centres se fait donc sur le nombre d’inscriptions et non sur les prix, strictement contrôlés.
C’est dans ce cadre que la téléconsultation, en croissance depuis 2015 et soutenue par une stratégie nationale dynamique, est venue jouer les trouble-fêtes, en raison primo de son financement, secundo de l’explosion de son usage avec le Covid.
Il faut, pour cela, expliquer le fonctionnement du out-of-county évoqué ci-dessus : un patient de la région A consulte un professionnel dans un centre médical de la région B et règle les forfaits applicables en région B, laquelle se tourne alors vers A pour lui facturer le service (c’est-à-dire pour récupérer la dépense faite pour un patient non établi dans la région B). Ce dispositif ne posait aucun problème avec les flux inter-régionaux marginaux d’une organisation classique. Mais les volumes de la télémédecine ont tout changé !
C’est en effet ce dispositif du out-of-county qui a été utilisé pour la facturation des téléopérateurs, ce qui les plaçait « hors sol » : si je fréquentais KRY (connu en France sous la marque Livi), je payais le forfait en vigueur dans sa région d’installation et au passage mon centre local perdait la rémunération correspondante.
Or qui recourt le plus à la télémédecine ? La tranche 18/35 ans, plus intéressante économiquement dans un système par capitation, puisque, même modulée par l’âge, celle-ci opère une mutualisation des recettes, qui permet au médecin de passer relativement plus de temps avec les patients « lourds » et moins avec les plus jeunes.
Le propre de la régulation est de chercher à garder un coup d’avance sur les équilibres qui se font sur le marché.
De fait, depuis lors, les règles suédoises ont été ajustées pour neutraliser quelques-uns des effets parasites relevés ici.
Mais, on le voit, même dans les systèmes fortement régulés, on n’est jamais à l’abri de déstabilisations d’ampleur, sous l’effet d’une innovation majeure ou d’un réglage inapproprié des règles de financement (prix ou remboursement). C’est une leçon aussi pour la France.
Sébastien Rochelle, directeur associé ADICEO, enseignant, avec la collaboration d’Éric Trottmann