FOCUS #14
26 juillet 2023
La profession infirmière au cœur de l’accès aux soins : plaidoyer pour un plan d’ensemble
Le ministre de la Santé et de la Prévention sortant, François Braun, avait lancé en juin 2023 le processus de révision des textes organisant la profession infirmière et annoncé une « refonte complète » de la formation. Initiatives bienvenues pour autant qu’on fixe une ligne stratégique claire et que l’ensemble des actions des pouvoirs publics en rendent compte.
Disons les choses simplement : la profession infirmière doit être pleinement mobilisée pour concourir à traiter les problèmes de notre système de santé. Elle a tous les atouts pour cela : plébiscitée par la population, présente sur le territoire de façon relativement équilibrée, disponible pour porter les innovations (on l’a vu avec les pratiques avancées) et pour assumer de nouvelles missions (en matière de prévention et de vaccination, par exemple), avec la flexibilité que permet une formation assez courte (3 ans).
On n’a pas le droit de ne pas en tirer pleinement parti. On n’a guère le choix en vérité.
Pour cela, au-delà de considérations réglementaires un peu complexes (définition des missions versus décret d’actes), il est essentiel de clarifier les réponses des pouvoirs publics sur les différents sujets ci-dessous, pour que se forme enfin un consensus et pour aligner les positions des acteurs.
" Disons les choses simplement : la profession infirmière doit être pleinement mobilisée pour concourir à traiter les problèmes de notre système de santé. Elle a tous les atouts pour cela."
Les rémunérations. Les infirmières (on emploie le féminin pour se ranger au fait majoritaire…) tiennent l’hôpital mais elles tiennent aussi la prise en charge à domicile. La question des rémunérations n’a pas été vraiment réglée par le Ségur de la Santé et les disparités en termes de salaires et de conditions de vie sont importantes entre le public et le privé, entre les secteurs (hôpital, ville, médico-social, etc.) et sur le territoire. Il faut donc engager un nouveau cycle de négociations salariales, articulé cette fois avec la question des carrières et des conditions de travail. Il faut aussi reconnaître, en espèces sonnantes et trébuchantes, que les infirmières libérales sont notre première ressource pour faire face au défi du vieillissement à domicile.
Les effectifs et les carrières. Avec le Covid, on s’est enfin rendu compte de la tension sur les ressources humaines et on en a tiré les conséquences en augmentant massivement les quotas de formation, à l’initiative concertée de l’Etat et des Régions (compétentes sur ces formations, rappelons-le). Ce mouvement, s’il doit être poursuivi, a besoin d’être éclairé en continu par une analyse plus précise et plus prospective des besoins, comme vient de l’entreprendre l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS). L’augmentation du nombre d’infirmières doit aussi s’accompagner d’un plan massif de développement de la promotion professionnelle : il faut redonner des perspectives de carrière aux aides-soignantes en augmentant sensiblement l’accès à la profession infirmière tout en préservant la qualité de la formation et la délivrance des compétences dont le système de santé a besoin. La diversité des profils et le bon fonctionnement de l’ascenseur social font la richesse de la profession.
La place des infirmières dans la ligne des soins primaires. Les rapports de la profession infirmière avec les autres professions ne sont pas forcément simples. Ils ne le sont par construction pour aucune profession. On a fait émerger récemment dans la loi l’idée d’infirmière référente. Cela ne doit pas rester un slogan. L’infirmière a la possibilité de jouer un plus grand rôle en matière de prévention et de coordonner certaines prises en charge, en particulier pour les patients âgés à domicile. Les infirmières sont très souvent mobilisées dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) : c’est le signe de leur rôle central dans la ligne des soins primaires. Ce rôle doit être reconnu – et valorisé – sans tabous. En outre, ici comme ailleurs, l’enjeu du numérique, du partage d’informations, en l’occurrence avec les infirmières – et au-delà, avec l’ensemble des auxiliaires médicaux – est crucial pour une bonne coordination.
Les nouveaux métiers et les spécialités. La Cour des comptes[1] a bien analysé récemment les difficultés d’implantation des infirmières en pratique avancée. Tirons-en les conséquences en termes de financement de la formation, de revalorisations (en ville comme à l’hôpital), de mobilisation des établissements de soins et… de pédagogie auprès des acteurs du système. Un des principaux freins pour tirer tous les bénéfices de la pratique avancée est le défaut d’information des médecins. Les spécialités infirmières (l’autre voie principale de développement des compétences) doivent être elles aussi rehaussées de façon cohérente. Il en va de même pour l’encadrement de proximité.
Les conditions de travail. Au-delà des rémunérations, au-delà des perspectives professionnelles insuffisantes, les conditions de travail sont un ressort puissant des défections en cours de carrière, particulièrement importantes dans certains établissements ou sur certains territoires. Il faut donc prendre à bras le corps ce sujet : cela concerne le travail de nuit, les contraintes physiques, la violence qui s’adresse parfois aux soignants, les risques psycho-sociaux, les problèmes de logement et de transport... Il nous faut un plan d’ensemble en la matière, qui tienne compte du profil des soignants d’aujourd’hui...
La consolidation des formations. En la matière, la première question à laquelle répondre est simple : où situe-t-on la profession infirmière dans la hiérarchie des professions ? C’est une profession de catégorie A depuis de longues années maintenant. Sa formation est donc ancrée de plein droit dans l’Enseignement supérieur et cela doit se concrétiser en termes de fabrique des formations, sur des bases scientifiques (dans un lien étroit entre les instituts et les Universités), d’évaluation, de diplomation et de droits des étudiants. Les rémanences du passé sont pourtant toujours fortes. Les employeurs doivent comprendre que l’alignement de cette formation sur les standards de l’Enseignement supérieur fait partie de l’attractivité de la profession, ce qui n’enlève rien au caractère professionnalisant de la formation et à la nécessité, on l’a dit, de favoriser la promotion professionnelle. Pour être attractive, la formation doit enfin se conformer aux meilleures pratiques en termes d’usage du numérique et de simulation. D’où l’importance, sur ce point comme sur d'autres, d’un partenariat fructueux avec les Régions.
Comptons sur Aurélien Rousseau[2], le nouveau ministre de la Santé et de la Prévention, pour préciser et concrétiser rapidement les orientations des pouvoirs publics sur tous ces points, qui font système.
Stéphane Le Bouler, président de Lisa
Florence Girard, présidente de l’Association nationale des directeurs d’écoles paramédicales (ANDEP)
Françoise Jeanson, vice-présidente de la Région Nouvelle Aquitaine, membre du bureau de Lisa
Manon Morel, présidente de la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (FNESI)
Ludivine Videloup, présidente de l’Association nationale des infirmièr.e.s en pratique avancée (ANFIPA)
[1] https://www.ccomptes.fr/fr/documents/65310
[2] Qui avait rédigé, avec Christine d’Autume, un rapport dans le cadre du programme Ma Santé 2022 : « Transformer les conditions d’exercice des métiers dans la communauté hospitalière » https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/masante2022_rapport_evolution_des_metiers.pdf