Conférence du
15 mars 2022
Quels droits pour les personnes âgées dans notre société?
Pour quelle régulation ?
La séance est animée par Daniel BENAMOUZIG, titulaire de la Chaire Santé de Sciences Po et Stéphane LE BOULER, président du LISA.
L’ouvrage Les Fossoyeurs de Victor Castanet a mis de nouveau en lumière la question de la « prise en charge » de nos aînés, en particulier sur la question de leurs droits. Le levier juridique semble en effet un des instruments possibles de régulation. Cette thématique fait écho aux activités du LISA et de la Chaire Santé de Sciences Po. C’est pourquoi ces deux organisations se sont associées pour partager cette initiative de débat.
La manifestation a donné lieu aux interventions de :
-
Claire HÉDON, Défenseure des droits depuis 2020 ;
-
Sarah SALDMANN, avocate au Barreau de Paris ; elle défend notamment les plaignants dans le cadre de l’affaire ORPEA ;
-
Claude ÉVIN, avocat au Barreau de Paris, ancien ministre des Affaires sociales et de la Santé.
-
Dans le cadre des travaux de Lisa, nous n’avons pas regretté, même si cela puisse être paradoxal, le fait que la loi Grand âge soit abandonnée, pour qu’un tel texte ne se réduise pas à ce qu'il laissait paraître, tel que préfiguré dans les laboratoires ministériels. Ce qui était en gestation ne semblait pas du tout à la hauteur des enjeux et n'abordait pas notamment de façon nette la question de la gouvernance territoriale et des enjeux financiers sous-jacents.
Nous avons souhaité reprendre le sujet de la régulation au sens fort du terme, avec la régulation par le droit – ou par les droits, tout d'abord.
Nous aborderons par la suite la régulation à travers l’exercice des contrôles, de la tutelle, de l’évaluation, sujet sur lequel la HAS vient enfin de sortir un guide.
Nous aborderons enfin la régulation économique : derrière les pratiques dénoncées par Victor Castanet, il y a des déviances individuelles, au niveau des établissements ou des groupes, mais aussi et fondamentalement une dimension plus systémique qui pose la question de la régulation économique.
Quand on donne des autorisations, on confère des avantages, un droit, une rente et on se demande quelle est la contrepartie de ces autorisations et de cette rente. Quelles sont les obligations qui en découlent dans le champ médico-social ?
Un colloque sera bâti à l’automne pour aborder au fond la question de la gouvernance territoriale et du financement du grand âge. Ces sujets sont gelés depuis une quinzaine d’années, il est temps de les remettre sur la table.
Intervention de Claire HÉDON
Faut-il le rappeler ? Les personnes âgées ont droit au même respect de leurs droits fondamentaux que le reste de la société.
L’institution du Défenseur des droits a pour but de rétablir les personnes dans leurs droits et de promouvoir les droits et les libertés, en produisant des avis au parlement, des recommandations, des propositions de réformes.
Aux yeux du grand public, la défense du droit des usagers du service public concentre sans doute une large part de l’action de l’institution : difficultés de faire valoir un droit à la retraite ou de bénéficier du service de la CAF, sur le RSA ou les APL.
S’agissant des personnes âgées, les réclamations gravitent autour de la dématérialisation de l’accès au service public et des discriminations en raison de l’âge, de l’état de santé et du handicap.
Dans un rapport sur Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en EHPAD, rendu en mai dernier, les constats et les et recommandations se plaçaient dans la ligne des réclamations reçues dans ce domaine. Au cours des 7 dernières années, ont ainsi été comptabilisées près 700 réclamations avant le début de la crise, avec notamment des situations de maltraitance, et 400 réclamations depuis le début de la crise sanitaire ; 80% de ces réclamations mettent en cause des EHPAD.
Les données qui ont servi de matière à ce rapport
Lorsqu’on voit des dysfonctionnements récurrents, c'est une chose de rétablir les personnes dans leur droit, c’est autre de faire un certain nombre de recommandations pour que cela cesse.
Pour faire ce rapport, nous avons conduit des entretiens et des auditions avec des associations, des syndicats, des fédérations, des institutions, ainsi qu’avec les professionnels des secteurs médico-social et sanitaire. Des visites ont également été conduites sur le terrain.
Le Comité d'entente « Avancée en âge » a aussi participé aux investigations ; il réunit les acteurs du monde associatif, qui ont une connaissance particulière dans un certain nombre de domaines.
Le Défenseur des droits a également été destinataire d’un état des lieux des réclamations et signalements adressés aux ARS, ainsi que la synthèse des inspections réalisées au cours des 3 dernières années.
Les principaux constats dressés
Ce qui est frappant dans les saisines reçues, ce sont de manière récurrente des atteintes aux droits et libertés des personnes accueillies, ces atteintes étant rendues possibles parce que les personnes sont en état de vulnérabilité. C’est cet état qui crée un risque d'atteinte au droit. « Il en va pourtant de l'honneur d'une société de défendre les droits des personnes les plus vulnérables » selon Claire Hédon.
Dans une liste non exhaustive, les atteintes qui ont été signalées concernent :
-
Le libre choix, le consentement éclairé, le droit à l'information de la personne accueillie, droits indispensables bien que requérant du temps. Cette contrainte n’autorise pourtant pas à s’affranchir du recueil du consentement et à ne pas fournir des informations claires à la personne âgée ;
-
Le droit à une prise en charge et à un accompagnement adaptés, droit affirmé à la fois par la Charte des droits et des libertés de la personne accueillie et par le Code de l'action sociale et des familles. Il devrait se traduire de façon très concrète par un accompagnement de la personne, respectueux de sa dignité et de sa vie privée, permettant sa participation à la détermination de ses conditions de vie ;
-
La liberté d’aller et de venir : le motif de sécurité des résidents est souvent allégué pour justifier les entraves, parfois sans qu’aucune indication médicale n'ait été posée. Le plus souvent, ce sont les contraintes organisationnelles de l'établissement qui sont à l'origine de ces règles. A ces limitations peut s'ajouter le recours à des dispositifs de géolocalisation, qui ne sont pas encadrés par des recommandations de bonnes pratiques, ou à des mesures de contention physique ou médicamenteuse, utilisées pour pallier le manque de personnel ou le défaut d’adaptation de l'établissement à l'état de la personne ;
-
le droit à la vie privée, à l'intimité, au maintien des liens familiaux. Depuis plusieurs années, le respect de la vie privée et les menaces qui pèsent sur elle reçoivent une attention grandissante. Alors que dans les débats publics, on s’inquiète de la protection des données, les résidents n'ont parfois même pas la possibilité de disposer d'un espace d'intimité ;
-
Le droit au recours effectif et à la protection : il apparaît que les remarques, par exemple, du Conseil de la vie sociale, CVS, présent dans chaque établissement, ne sont pas toujours entendues. Ces instances ne fonctionnent pas non plus forcément très bien, avec une participation insuffisante des résidents et des familles. Des possibilités intéressantes comme l'appel à une personne qualifiée bénévole choisie sur une liste départementale ou la possibilité d'émettre une réclamation auprès de l’ARS restent très largement méconnues par les résidents et par leurs familles ;
-
Les réticences à signaler les cas de maltraitance. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer : d'abord, la méconnaissance de ce qui constitue un acte de maltraitance, ou en tout cas des obligations de signalement, la complexité des procédures, le conflit de loyauté et la crainte des représailles. A ces difficultés s'ajoute l'absence, dans de nombreux endroits, de procédures de prévention et de gestion des événements indésirables.
Ces différentes atteintes aux droits et libertés des personnes accueillies ont été nettement aggravées par la crise sanitaire. Les personnes âgées ont été rapidement identifiées comme particulièrement vulnérables au COVID-19 en raison de l'âge, des pathologies et des comorbidités. C'est ce qui a conduit à vouloir protéger leur santé. Dans les 400 réclamations reçues depuis le début de la crise en mars 2020, il faut évidemment souligner les entraves à la vie privée et familiale, à la liberté d'aller et venir et au respect du consentement du résident. Les suspensions et limitations de visite qui avaient globalement été acceptées pendant la première période de confinement, ont été beaucoup moins justifiées dans la suite.
Les facteurs qui expliquent ces constats
Si un certain nombre d’atteintes aux droits viennent d’actes individuels plus ou moins conscients du personnel, ce sont surtout des atteintes liées aux carences de l'organisation, à la pénurie de professionnels, à la rotation importante de ceux-ci, à l'épuisement de ce personnel et au manque d'encadrement qui ressortent.
Les directions d’EHPAD sont parfois tentées de réduire ces situations de maltraitance à des actes individuels alors qu’en réalité, ce que nous observons, c'est que la maltraitance institutionnelle s'ajoute à une maltraitance individuelle.
L’institution porte des responsabilités propres qui ne sont pas réductibles simplement aux professionnels. Ces professionnels, dans leur majorité, font de leur mieux, avec un engagement qui doit être salué, notamment pendant cette crise sanitaire.
Le manque de moyens peut engendrer de la maltraitance, avec la standardisation des conditions de prise en charge au mépris des besoins des résidents et l'absence de prise en compte et de réaction aux signalements émis par les victimes.
S’agissant des mesures qui ont été prises durant la crise sanitaire, ce qui est assez frappant, c'est qu'une grande partie des dérives observées proviennent en fait du défaut de cadre juridique abouti au niveau national. Les mesures prises pour organiser la gestion des EHPAD ont été prises sous forme de protocoles, de recommandations, de plans qui étaient publiés sur le site Internet du ministère des Solidarités et de la Santé.
Ce recours à du droit souple plutôt qu’à des dispositions législatives ou réglementaires soulève des questions.
D'abord, ces normes n’ont pas force de loi et sont rarement soumises à un contrôle juridictionnel. Par ailleurs, elles n'offrent qu'une difficile lisibilité et accessibilité, ce qui crée pour les personnes accueillies une forte insécurité. Enfin, elles rendent difficile le contrôle effectif par les autorités, les ARS ou les conseils départementaux en particulier.
De façon plus fondamentale, il est absolument essentiel que toute atteinte aux droits et libertés soit prévue par la loi et soit strictement limitée et proportionnée à l'objectif poursuivi, conformément aux principes de notre état de droit. En laissant aux établissements le soin de définir leurs propres règles, les différents protocoles et recommandations ne permettent pas que les garanties procédurales prévues par le législateur soient applicables.
Les directeurs d'établissement ont une latitude importante pour interpréter les consignes éparses dont ils disposent, que la majorité d'entre eux gèrent d’ailleurs dans un très bon équilibre entre d'une part la protection de la santé et d'autre part le respect des droits. Mais certains d'entre eux, notamment devant le risque de voir leur responsabilité engagée, ont choisi d'adopter des limites beaucoup trop strictes.
Les recommandations et pistes d’amélioration
Ce rapport contient 64 recommandations parmi lesquelles 13 sont spécifiques à la situation de crise sanitaire. En voici quelques exemples :
-
Instaurer des normes pour améliorer la qualité de l'accompagnement. En pratique, la condition sine qua non me semble être de fixer un ratio minimal de 8 encadrants pour 10 résidents. Aujourd’hui en France, c'est 7 personnels pour 10 résidents dans le public et 6 pour 10 dans le privé. Sachez qu'en Allemagne la moyenne est de 8 pour 10 et dans les pays du Nord, on est à 10 pour 10. La demande de 8 pour 10 est juste le minimum vital pour qu'on ait de la bientraitance ;
-
Désigner un référent consentement qui sera chargé de veiller à la recherche effective du consentement des résidents ;
-
Promouvoir la permanence des soins la nuit par la généralisation de la présence d'infirmières ;
-
Rendre obligatoire la formation initiale et continue à la bientraitance et à la lutte contre la maltraitance ;
-
Rendre davantage effectives les dispositions protectrices des droits des résidents, notamment en ce qui concerne la personne de confiance, dont le rôle n’est pas suffisamment bien compris par les parties prenantes et reste d'ailleurs très peu connu des résidents ;
-
Le projet personnalisé dont les modalités d'élaboration doivent aussi être précisées ;
-
Les audits externes et les contrôles doivent absolument être renforcés. Il ne s’agit pas forcément d’inventer un nouveau système de contrôle mais de donner les moyens aux ARS de faire ces contrôles.
En dehors des EHPAD, il arrive aussi que les personnes âgées soient confrontées à des atteintes à leur libre choix, à leur liberté. Dans une enquête publiée récemment auprès de 2500 personnes âgées de plus de 65 ans vivant à domicile et aussi auprès des aidants de personnes âgées en perte d'autonomie, ce qui est apparu, ce sont plusieurs obstacles qui peuvent empêcher les personnes âgées d’exercer leur liberté :
-
Des difficultés administratives, notamment liées à la dématérialisation des démarches ;
-
Une stigmatisation et une discrimination, d'ailleurs qui souvent, ne sont pas perçues comme telles par les personnes âgées;
-
Un manque d'informations.
Tous ces phénomènes découragent les personnes âgées de faire valoir leurs droits
Zoom sur la dématérialisation des services publics
La dématérialisation des démarches de service public est une chance, car elle est source de simplification pour une partie de la population, mais elle éloigne de leurs droits aussi bon nombre de gens plus en difficulté. De fait, un certain nombre d'accueils dans les services publics ont fermé et pour les personnes âgées qui sont en difficulté avec Internet, il est clair que cela contribue à ce qu'elles renoncent à leurs droits.
Cette question de la dématérialisation montre bien que les personnes âgées, du fait de leur vulnérabilité, peuvent révéler par les altérations des droits qu'elles subissent, des risques pour l'ensemble de la société. Cela concerne les publics fragiles, les personnes âgées comme les personnes en situation de handicap, les majeurs protégés, les personnes en détention ou les précaires, mais on voit aussi que cela concerne tout le monde. Si l’on rencontre des difficultés à faire des démarches via Internet, à partir du moment où on n'arrive plus à avoir quelqu'un à l’accueil des services publics, on est vite en grande difficulté.
Pour nous aiguiller ou, en tout cas, nous faire prendre conscience que ces atteintes aux droits peuvent concerner tout le monde, les droits des personnes âgées constituent un indicateur utile pour évaluer la qualité de notre état de droit et de nos services publics.
Intervention de Sarah SALDMANN
Sarah Saldmann, avocate au Barreau de Paris est actuellement chargée de dossiers relatifs aux établissements des groupes ORPEA et KORIAN. La défense des familles de victimes et des victimes elles-mêmes est le cœur de son intervention.
La genèse de ces affaires se situe en mars 2020, dans le contexte du premier confinement. Maître Saldmann est saisie par plusieurs familles de victimes soulevant une discordance nette entre les frais d’hébergement à payer à l’EHPAD concerné et le service fourni, et faisant état de dysfonctionnements graves.
Face à ces difficultés, les familles ont plusieurs possibilités : se plaindre et aller au contentieux, changer d’établissement, reprendre leur parent à domicile ou tenter de les soutenir à leur domicile avec des équipes se relayant sous la forme des 3x8. L’inconvénient de cette dernière solution est un coût exorbitant et la nécessité de mettre en place une organisation stricte, pour autant que la pathologie de la personne le permette.
En janvier 2022, après la parution du livre Les Fossoyeurs de Victor Castanet, les familles sont revenues vers Maître Saldmann et ont choisi d’entrer dans une dynamique contentieuse, en choisissant la voie pénale.
Les victimes ont souvent besoin d’un catalyseur pour faire valoir leurs droits. Dans cette affaire, il y a eu une volonté commune des familles de mettre un terme à l’impunité et à l’omerta des mauvais traitements dans certains EHPAD en général et d’ORPEA et de KORIAN en particulier.
Dans les pays du Common Law, surtout aux Etats-Unis, on dispose d’une procédure particulière : la class action, très répandue lorsqu’il s’agit de s’attaquer à une personne morale. En France, l’action de groupe existe mais uniquement en droit de la consommation, encadrée par la Loi Hamon de 2014. Il y a la contrainte d’un minimum de deux consommateurs qui soient victimes du même manquement d'un professionnel, représentés par une association agréée et le préjudice ne doit pas être matériel. Mise en œuvre de façon marginale, la procédure a tout de même été étendue par la loi du 26 janvier 2016 pour les manquements en matière de santé.
Pour la première fois en France, une “action collective” sur un volet pénal est donc lancée contre ORPEA nominativement. D’autres familles ont contacté Maître Saldmann qui a ouvert une “action collective” également à l’encontre du groupe KORIAN. Les plaintes demeurent toutes individuelles mais sont déposées le même jour pour que chaque plainte ait plus de poids.
Sur l’exercice des droits, la difficulté première qui a été rencontrée est la désinformation des requérants quant à l’existence de leurs droits.
Il faut noter l’hétérogénéité des situations quant à l’exercice des droits, en fonction du soutien familial dont disposent les résidents, de leur état de santé (en particulier sur le plan cognitif), des solutions de prises en charges alternatives…
Les plaignants dans les affaires ORPEA et KORIAN n’ont pas saisi, contacté ou écrit au Défenseur des droits du fait de la méconnaissance de cette possibilité, qui devrait être communiquée aux résidents et à leurs familles à l’entrée de l’établissement.
De fait, l’exercice des droits est souvent rendu problématique du fait d’un défaut de communication des informations essentielles.
Intervention de Claude ÉVIN
Claude ÉVIN nous rappelle en premier lieu les 20 ans de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, qui s’applique en particulier à toutes les situations de vulnérabilité.
Bien qu’il soit difficile de hiérarchiser entre les droits individuels et les droits liés à l'organisation du système, le premier droit est de pouvoir garantir à chaque personne qui le nécessite des conditions de prise en charge qui soient adaptées à son désir et adaptées à son besoin qualitativement.
Au demeurant, toute personne, tout être humain qu'il soit âgé ou non, qu'il soit malade ou non, qu'il soit vulnérable ou non, tout le monde a les mêmes droits. La question qu'on doit se poser, c'est en effet celle de l'effectivité : comment ces droits sont-ils mis en œuvre et comment sont-ils garantis ?
L'effectivité des droits pose un certain nombre de problèmes.
Concernant les droits des malades, on a du droit positif, puisque la loi du 4 mars 2002 a introduit dans le code de la santé publique des droits qui auparavant étaient des obligations des professionnels, des obligations des établissements. Il y a depuis lors des droits effectivement opposables pour les personnes. Pour autant, on a beaucoup de difficultés à les faire vivre parce que l'adaptation de ces droits fondamentaux à des situations de vulnérabilité est parfois particulièrement complexe. Il y a sans doute des avancées législatives à proposer comme en ce qui concerne la spécificité de certaines applications du droit pour les personnes âgées.
SI on prend la question du droit d'aller et de venir, il a été mis en cause avec la période de confinement mais c’est en vérité une thématique ancienne. La question du droit d'aller et venir dans les EHPAD se posait bien avant le confinement, d’ailleurs pour des motifs à prendre en considération et à examiner scrupuleusement, liés des questions de sécurité en particulier.
Il y a une réflexion à conduire pour que ces droits puissent être effectivement garantis aux personnes concernées.
Un certain nombre des droits de la loi de mars 2022, qui sont dans le code de la santé publique, peuvent effectivement s'appliquer dans le code de l'action sociale et des familles et sont tout à fait applicables dans les établissements qui accueillent des personnes âgées et des personnes âgées vulnérables.
Les outils pour faire valoir les droits sont malheureusement notoirement insuffisants.
Dans le cas des personnes dites « qualifiées », les codes disposent qu’elles sont présentes pour faire valoir les droits. Le fait est cependant qu’il n’y a pas de personnes qualifiées dans tous les départements, que l'existence de ces personnes qualifiées n'est pas connue et que leurs fonctions sont souvent ignorées par bien des acteurs.
Pour ce qui est des conseils de la vie sociale (CVS), ils n'ont pas réellement pour fonction de défendre les droits individuels des personnes mais d'intervenir sur l'organisation collective de l'institution. Naturellement, veiller à ce que l’organisation de l’établissement puisse être garant des droits est dans les missions des CVS. En outre, ces instances ne sont pas présentes dans tous les EHPAD.
Il faut évoquer aussi les situations où cela se passe mal. Dans un établissement, quand les lois ne sont pas reconnues, la personne prise en charge, tout comme ses proches, ont effectivement beaucoup de réticences à l’exprimer. Les raisons sont variées : trouver une place était difficile, s’il y a une tension qui s'établit avec la direction de l'établissement, la personne âgée pourra craindre des représailles.
Il y a donc nécessité de faciliter la prise de parole des résidents dans les établissements, ce qui n'est pas suffisamment pris en considération aujourd’hui.
Mettre en place des processus de médiation à disposition des résidents et de leurs proches, de manière obligatoire, dans les établissements est une option qui mérite d’être sérieusement envisagée. L’objectif est que le dialogue qui, parfois, a été rompu ou qui n'existait pas, puisse être rétabli et que l'intervention d'un tiers médiateur facilite effectivement cette prise de parole.
Les conditions d’accueil et d’hébergement doivent respecter la dignité des personnes, à commencer par leur intimité. Il est sans doute nécessaire de sensibiliser les professionnels sur ce registre mais il faut aussi que les conditions d’hébergement évoluent : il y a encore des chambres doubles ou sans sanitaires particuliers. La question de l'environnement architectural, de l'environnement matériel des EHPAD est aussi une question qui se pose. La rénovation des EHPAD sur le plan architectural est donc bien une priorité.
L’exercice du droit pour la personne âgée d'être prise en charge et de bénéficier des services qui répondent effectivement à son besoin s’inscrit enfin dans une gouvernance territoriale. Cela vaut à domicile comme en établissement.
Pour ce qui est du domicile, à côté des volontés des personnes concernées et des familles, il faut aussi mesurer si l'organisation de la prise en charge est adaptée aux situations complexes. Ce n’est d'ailleurs pas spécifique à la problématique des personnes âgées ; c’est le cas des situations complexes de maladie chronique ou de certaines situations de handicap.
Dans une situation où la personne âgée a besoin d'une prise en charge qui associe plusieurs types de services, l'absence de pilotage et de gouvernance d'un service global à domicile est encore relativement fréquente. Cette carence conduit à ce qu’on ait recours à l'institution par insuffisance ou défaillance de la prise en charge à domicile.
Pour traiter cette difficulté, il est important de limiter les cloisonnements, qui sont une des caractéristiques de notre système. On a une multitude de services mais comment interviennent-ils ensemble ou en coordination ?
C’est autour de cette articulation à domicile qu'il faut porter la réflexion et renforcer les propositions, en considérant les différents types et modalités de prise en charge. Le cloisonnement entre les professionnels de santé en ambulatoire et les établissements, entre le sanitaire et le médico-social, a un impact direct sur les conditions de prise en charge et sur la qualité de vie des personnes âgées.
Remarques et questionnements
-
Tout citoyen – et les personnes âgées au premier chef – a le droit d'être gouverné intelligemment. De ce point de vue, la double tutelle des EHPAD est une bêtise institutionnelle. Le problème n’est pas de choisir entre l'Etat et le département mais cette dyarchie dégrade la qualité de la régulation. Il y a donc un problème d’agencement institutionnel ;
-
S’agissant des Conseils de vie sociale (CVS), c’est en effet un droit qui peut rester tout à fait formel. Ils dépendent pour une large part de la bonne volonté des directeurs d'établissement. De façon symptomatique, les CVS ont été mis en sommeil pour la plupart le temps de la crise sanitaire ;
-
Il est important de conduire la réflexion sur le modèle même des EHPAD, qui est un modèle hospitalier, en lui-même réducteur des droits de la personne ;
-
On est devant un sujet de société extrêmement grave : la discrimination envers les personnes âgées et le manque d’inclusion. Que ce soit en établissement ou dans la vie d'une personne âgée qui vit chez elle, le regard que nous avons sur les personnes âgées, qu'elles soient dépendantes ou non finalement, les met souvent dans une forme de déni de citoyenneté. Elles doivent être à chaque fois accompagnées et on ne leur laisse que peu la parole. Il y a une vraie responsabilité à se demander quelle place nous allons donner aux personnes âgées dans notre société ;
-
Il manque des accès de proximité, la personne qui commence à entrer dans une forme de dépendance ou de besoin d'accompagnement doit avoir une réponse à moins de 20 km de chez elle. Les constats de non-recours faute de solutions de proximité et d’articulation des ressources sont nombreux ;
-
Il importe de travailler sur le développement des soins palliatifs dans les EHPAD, en lien avec les équipes mobiles ; la question de la formation en soins palliatifs du personnel est également cruciale ;
-
Plutôt que de légiférer de nouveau, essayons de voir pourquoi ce qui est déjà dans la loi ne fonctionne pas (qu’il s’agisse notamment de la loi du 2 janvier 2002 ou de la loi sur les droits des malades du 4 mars 2002) ;
-
La Haute Autorité de Santé vient de sortir le Manuel d’évaluation de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux dans lequel justement la question de l'expression des usagers et des bénéficiaires en établissement médico-social est posée, parmi les indicateurs et les critères d'évaluation de la qualité et de la sécurité de la prise en charge. A travers les guides des bonnes pratiques, on peut accompagner l’action législative plutôt que de renouveler sans cesse les textes.