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Notes & projets
24 mars 2022

Carrières à l’hôpital : un choc d’attractivité nécessaire

La gestion des ressources humaines de l’hôpital (public et privé) est un des principaux problèmes sanitaires en France aujourd’hui. Il ne semble pas que les programmes pour l’élection présidentielle en prennent la mesure. Il y a pourtant matière… et il y a urgence.


Un enjeu pressant est bien la fuite du personnel, dont une conséquence peut être la fermeture de lits, faute de médecins ou d’infirmières pour en assurer la charge. Il s’agit là d’un problème de management et d’un problème de gestion de carrière des professionnels médicaux et paramédicaux, qui se pose à tous les niveaux.


Le Ségur de la Santé a permis d’apporter des revalorisations financières pour les personnels. Celles-ci étaient certes indispensables mais certainement pas suffisantes. Les modalités d’allocation des moyens sont elles aussi cruciales.


La question de l’évolution des carrières doit être reprise dans son ensemble. La prise en compte du mal être des jeunes médecins comme les départs des infirmiers-ères pour d’autres métiers doivent nous interroger. 


Comme pour beaucoup de professions, les médecins et les autres personnels ne se projettent plus dans un seul métier tout au long de leur vie professionnelle. 


Les contraintes de l’exercice, le manque de reconnaissance et la perte de considération font partie des raisons de ce désenchantement au sein des professions de santé, mais le défaut de perspectives de carrière y contribue également.


Depuis plusieurs années, on observe ainsi que les trois spécialités les plus prisées par les candidats aux dernières épreuves classantes nationales (ECN) sont l’ophtalmologie, la médecine esthétique et la dermatologie. Pour ce qui est du choix des spécialités des hospitalo-universitaires, le parallélisme s’impose avec la chirurgie plastique, l’ophtalmologie et la dermatologie-vénérologie. En bout de classement, on trouve les chirurgies digestive et orthopédique. 


Les choix de spécialité des internes sont parlants ; ils prennent en compte la qualité de vie et donc les activités où les gardes et astreintes sont habituelles, où l’amplitude horaire est raisonnable. Selon les filières et les professions, les contraintes sont différentes. Lorsque les gardes ou les amplitudes horaires sont importantes, les salaires ne suivent pas et le système de compensation apparaît donc comme un médiocre palliatif.


Le secteur privé peut être privilégié afin de bénéficier d’une meilleure rémunération par rapport aux grilles indiciaires de la fonction publique hospitalière mais les conditions de travail, assorties de moins d’astreintes, comptent aussi.  D’autant que les grilles de rémunération de l’hôpital sont largement insensibles aux différences de pénibilité subies par les praticiens. 


Pour pallier le manque d’attractivité de certaines filières, on a bien fait émerger de nouvelles spécialités (ainsi de la création de la Gynécologie médicale, spécifique et distincte de la Gynécologie-Obstétrique) mais cette pratique a surtout perverti le système. 


Si le secteur privé a encore quelques avantages à faire valoir, les problèmes de recrutement n’y sont pas absents, notamment pour ce qui concerne les médecins. L’existence d’un plateau technique performant n’est plus une garantie d’attractivité. 
Dans les hôpitaux (CH ou CHU), la règle du jeu sur les missions de chacun doit être clairement affichée, d’un point de vue global comme au niveau micro. 


La gradation et la réparation des tâches sont susceptibles de rendre plus claires les missions. Faute de quoi, les praticiens se voient déborder, avec le devoir de tout faire et même, bien souvent, de faire face à des injonctions contradictoires.
Un meilleur dialogue entre médecins généralistes et médecins spécialistes est également primordial pour mieux orienter les patients et organiser concrètement la gradation des soins.


Il convient de redonner le sens et les fondements de la mission, des valeurs aux équipes, car l’hôpital n’est pas une organisation comme une autre : s’y ajoutent le sens de l’humain, les relations aux malades et aux familles, le rapport à la maladie et à la mort… 


Parallèlement, il est nécessaire de considérer la carrière d’une infirmière au-delà de la possibilité de devenir cadre ou, pour un médecin, de prendre des responsabilités managériales. Il est indispensable de construire des trajectoires de travail correspondant aux aspirations des professionnels tout au long de leur vie. Il faut redonner aux personnels l’envie de progresser professionnellement, notamment en leur offrant des passerelles permettant de se hisser vers de nouvelles compétences, d’autres métiers, d’autres horizons.  


De ce point de vue, la question du financement est naturellement sensible : introduire une évaluation des soins sur des indicateurs de qualité, de pertinence contribue à donner du sens aux professionnels et à faire qu’ils aient l’impression de ne pas être appréciés uniquement sur des indicateurs quantitatifs et financiers.


Des mesures doivent être prises en termes d’attractivité de ces professions. Le problème est à la fois celui des contraintes fortes et celui des rémunérations. Nous sommes ainsi face à un problème général d’équité et de sens. 


Au Royaume-Uni, un travail de fond sur les plannings a par exemple été mis en œuvre dans certains hôpitaux afin que les contraintes soient plus équitablement partagées. Ce système de coopération est une solution à envisager pour la France. 


La mobilité professionnelle pourrait aussi être davantage encouragée. Actuellement, les silos sont partout ! Il est indispensable de redonner de la souplesse, levier puissant d’attractivité : par exemple, en permettant des activités mixtes publiques/privées, en ouvrant « véritablement » le chantier des champs de compétences des métiers de la santé et donc en acceptant de répartir différemment ces activités au travers de plus de professionnels, pour ainsi montrer un chemin d’évolutions de carrière larges et diversifiées, en acceptant de faire évoluer des carrières médicales exclusivement tournées vers le soin vers des fonctions de management ou de santé publique…


A l’aune des évolutions majeures apportées au début des études de santé avec les différentes passerelles mises en place, une transformation ménageant des possibilités de réorientation tout au long de la vie professionnelle des soignants doit être organisée.


Pour les médecins, cela signifie notamment plus ou moins d’activité de soin, de recherche, d’enseignement ou de management selon les moments de la carrière.


En Belgique, ce fonctionnement est pratiqué. On contractualise sur la quotité de chaque activité, avec des moments forts variables au cours de la carrière. Les retours pour les structures (en termes de valorisation des différentes activités) sont ainsi organisés. 


Parmi les évolutions considérables de ces dernières années, on ne saurait enfin omettre le passage au digital, qui a entraîné une évolution considérable des pratiques des soignants au quotidien : en contribuant à améliorer les conditions de travail (facilitation de tâches répétitives sans valeur ajoutée), à créer potentiellement de nouveaux métiers, mais aussi à augmenter le temps devant un écran au détriment du temps devant le patient, le digital contribue à repositionner les différents acteurs d’un parcours de santé et donne de fait des perspectives de carrières différentes et complémentaires.


Propositions concrètes


Un choc d'attractivité est nécessaire. Il passe globalement par :  


1.    Un immense effort de formation permanente à tous les niveaux et pour toutes les professions médicales et paramédicales, en se fixant des objectifs très ambitieux ;


2.    Un travail pour réduire les contraintes qui pèsent sur les professionnels de santé à l'hôpital public ou pour compenser celles-ci ; cela suppose de rompre avec la logique égalitariste qui prévaut souvent pour faire, par exemple, le choix de valoriser fortement le travail de nuit et le week-end et progressivement le réduire ou le répartir autrement.


Concrètement, les mesures suivantes méritent d’être envisagées : 


-    Donner aux personnels des possibilités d’évolution interdisciplinaire et interprofessionnelle en créant davantage de passerelles entre les différents métiers de la santé ;


-    Développer l’offre de formation permanente pour les aides-soignantes avec l’objectif de garantir une formation en gérontologie pour toutes les aides-soignantes et de permettre un accès aux Instituts de formation en soins infirmiers après quelques années de fonction, par un effort conséquent de financement de la promotion professionnelle ; 


-    Développer massivement la formation d’infirmiers en pratique avancée (IPA) en assurant la prise en charge des rémunérations durant la formation et en travaillant sur l’implantation des soignants : il faut faire en sorte qu’un pourcentage significatif d’infirmiers-ères soient employé-es comme IPA à une échéance de 10 ans ;


-    Valoriser fortement les postes qui comportent des contraintes de travail de nuit ou le week-end, réduire progressivement ces contraintes et mieux les repartir au sein de l’hôpital et avec les professionnels libéraux ;


-    Favoriser l’accès à des fonctions de management, d’enseignement et de formation grâce à la création de formations spécifiques et surtout en ouvrant des postes valorisant ces formations ;


-    Permettre des exercices mixtes public/privé ;


-    Etablir un cadre plus souple (notamment d’un point de vue juridique, assurantiel, économique) afin de favoriser la répartition et l’exécution de tâches de santé au sein d’une organisation médicale ;


-    Établir une réelle politique d’accompagnement social (crèches, logement) et de qualité de vie au travail pour les personnels ;


-    Travailler sur l’inclusion, la mixité, la diversité des profils.


Enfin, si on retient ces objectifs, il faudra développer fortement les responsabilités à tous les niveaux au sein de l’hôpital, ce qui suppose de transformer la tutelle sur les hôpitaux publics et le management de ceux-ci pour l’aligner sur le privé à but non lucratif : en clair déconcentrer fortement pour créer un choc de management.


Cette note a bénéficié des contributions de Jean-Marc Coursier, Christophe Lannelongue, Stéphane Le Bouler et Patrick Pessaux
 

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